Le « prérecrutement » vu par le MEN… encore moins de formation !

Le Snesup-FSU a pris connaissance du projet du ministère concernant ce que ce dernier appelle “prérecrutement”. Si, à première vue, ce texte semble proposer un simple “aménagement” du statut des AED actuels, c’est en réalité un projet d’ensemble pour la formation des enseignants, qui se dessine peu à peu à mots couverts. L’absence d’annonces officielles sur une réforme d’ampleur de la formation des enseignants ne doit pas laisser penser que nous avons le temps de voir venir, au contraire. Les annonces, même incomplètes, finissent par faire système.

Ce que le ministère entend par “prérecrutement”, c’est en réalité une modification du statut actuel des assistants d’éducation (AED) de façon à ce que les étudiants qui souhaitent, dès le début de leur licence (L2), s’engager dans les métiers de l’enseignement soient « opérationnels » le plus tôt possible. L’élimination du terme « stage » (alors que le modèle actuel fait la part à une UE de préprofessionnalisation) lève toute ambiguïté : il ne s’agit pas ici de former mais de créer une catégorie d’AED assurant un service en classe de huit heures par semaine (mais quelle intégration possible dans les emplois du temps de chaque licence ?) pour observer, co-intervenir, assurer le rôle de « répétiteur » (sic) en cas d’absence de l’enseignant dès la L2, prendre en main dès la L3 les activités pédagogiques complémentaires (APC), assurer (dans les deux degrés) des « remplacements ponctuels », et en M1 la responsabilité et le « remplacement d’enseignants absents ».

Ce que le MEN désigne comme « responsabilité progressive », c’est donc clairement mettre en situation de responsabilité des étudiants non formés, le plus tôt possible.

La portée de ce projet va bien au-delà du périmètre de la seule FDE et concerne l’enseignement supérieur dans son ensemble puisqu’il contribue à la mise en place, pour la licence, d’un système modulaire, qu’il renforce par ailleurs.

Ce projet suscite de nombreux problèmes et questions. Citons ici ce qui concerne la formation des enseignants dans son ensemble, au sein des universités :

  • Comment articuler un tel projet avec la préprofessionnalisation aux métiers de l’enseignement qui se met en place, de manière variable selon les universités et les composantes, mais qui a le mérite d’être DANS la formation ? Un “service” de 8h par semaine dans une école ou un établissement scolaire du second degré, ce n’est pas la même organisation que des enseignements d’une UE de préprofessionnalisation, intégrés dans l’emploi du temps des licences et complétés d’un stage de x jours placés sur l’année. Faudra-t-il que toutes les licences prévoient de libérer les étudiants concernés 1 jour par semaine ? le même jour pour tous ? des jours différents ? mais alors comment garantir que les étudiants auront la possibilité de suivre tous les enseignements de leur licence ? Quel peut être précisément le “traitement privilégié de ces étudiants” qu’on demande bien aux universités ?

  • Comment faire de cette “expérience” un moment de formation ? Il y a aujourd’hui consensus sur l’idée que l’expérience de terrain en soi ne suffit pas mais, pour être formatrice, doit faire l’objet d’un travail d’analyse et d’outillage, adossé à la recherche. C’est précisément l’intérêt d’une formation des enseignants intégrée à l’université. Or, le texte ne dit rien à ce sujet, et se contente d’indiquer l’existence d’un “tutorat en établissement”. Qui assurerait ce tutorat ? S’agit-il d’ajouter du travail de suivi aux tuteurs déjà sollicités pour l’accompagnement des stagiaires M2 ? Bénéficieraient-ils d’un temps de décharge spécifique ? d’une rémunération pour ce suivi ? avec quelles obligations ? L’université de son côté peut-elle accepter de n’avoir aucun droit de regard sur les modalités et les conditions de travail (puisqu’en réalité il s’agit d’un travail) des étudiants inscrits dans des licences universitaires et auxquels il faudrait qu’elle accorde de fait un “traitement privilégié” ? Un tel “travail” serait-il pris en compte par des ECTS ? par qui ? sous quelle forme ? avec quelle évaluation ?

  • Si, comme le suggère le texte, les concours de recrutement doivent être “adaptés” de manière à favoriser la réussite de ces étudiants “prérecrutés” (en réalité contractuels), quelles seront les modifications apportées ? Comment garantir aux étudiants de bonnes conditions d’études pour réussir la licence tout en préparant un concours, avec un service de 8h par semaine pouvant inclure de la responsabilité de classe ?

  • Le contenu des concours étant modifié, quel sera l’impact sur les contenus des licences elles-mêmes ? Après avoir été “professionnalisé”, le concours va-t-il redevenir une simple épreuve destinée à vérifier des connaissances uniquement académiques ? sur quel programme ? Les universités vont-elles devoir se conformer à des programmes de licence dictés par le MEN ? Est-ce concevable ? A défaut, il faut des UE de préparation au concours, mais à la place de quels autres enseignements ? En cas d’échec aux épreuves du concours, l’entrée dans un master disciplinaire serait-elle remise en cause (faute d’une UE de spécialité), et dans un master MEEF faute de réussite à l’admissibilité ? Des préparations concours (privées ?) vont-elles se développer à côté ou après la licence… En fait on déplace un problème, préparer une L3 plus un concours dissocié n’est pas plus évident qu’un M1 et un concours.

La preuve que ce projet renforcerait l’attractivité du métier et irait dans le sens d’une amélioration de la formation n’est pas faite. Nous avons en revanche toutes les raisons de penser que l’objectif véritable est de tenter de pallier la crise de recrutement… sans dégager les moyens nécessaires pour que les jeunes qui souhaitent s’engager dans le métier puissent le faire dans de bonnes conditions et en perturbant gravement le fonctionnement des équipes universitaires non consultées et non “préparées” à de telles injonctions.

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